David Chavalarias, CNRS – CAMS & ISC-PIF
Les différents candidats à la présidentielle et leurs communautés politiques consacrent une énergie souvent conséquente à convaincre de l’inadéquation voire du danger des idées et comportements de leurs adversaires. Ils affichent ainsi une hostilité plus ou moins grande à l’encontre de leurs adversaires.
Dans une précédente analyse (http://politoscope.org), nous avons proposé une méthodologie pour l’identification des différentes communautés de la twittosphère politique.
Nous quantifions ici le degré d’hostilité de chaque communauté envers ses concurrents à travers leur présence sur Twitter en faisant l’hypothèse que quand un candidat ou sa communauté mentionnent le nom d’un candidat concurrent ou de son parti, c’est pour attaquer ses idées ou mettre en évidence ses défauts.
Nous avons ainsi défini (voir l’analyse complète) :
- Le degré d’hostilité d’une communauté envers un candidat concurrent comme la proportion des tweets de cette communauté mentionnant ce candidat ou son parti.
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Le capital de focus d’un candidat comme l’hostilité moyenne manifestée par les candidats et communautés concurrentes à son encontre. Le capital de focus témoigne de la place du candidat dans le jeu politique : dans quelle mesure il est jugé gênant par les autres candidats.
Nous avons montré que l’évolution de l’hostilité moyenne des communautés reflète très fidèlement la temporalité de la campagne.
L’analyse du capital de focus des candidats révèle ce que l’on pourrait appeler une “anomalie” dans la manière qu’ont les candidats d’exercer leur hostilité.
On pourrait en effet s’attendre à ce que les candidats en tête des sondages depuis plusieurs semaines (i.e. Marine Le Pen et Emmanuel Macron) soient ceux qui concentrent le plus d’hostilité de la part des autres candidats et donc, qu’ils aient le plus fort capital de focus.
Il n’en est rien.
Si Emmanuel Macron est le candidat ayant le plus fort capital de focus (13,71 % au 13 avril 2017 – en baisse), Marine Le Pen, que la plupart pronostiquent au second tour, bénéficie d’un capital de focus relativement modeste (4,72 % au 13 avril 2017).
Nous avons proposé deux explications à cette anomalie. La première est que les voix des membres de la communauté politique Front National seraient plus difficiles à conquérir que les autres, leurs électeurs étant plus « radicalisés ». Ceci étant, il serait plus facile de chercher à se qualifier au second tour en prenant la place qui reste, que d’essayer de se battre contre l’ensemble des candidats.
La seconde explication est que cette anomalie de capital de focus pourrait révéler une stratégie à deux bandes de la part des autres candidats.
Beaucoup semblent faire l’hypothèse que si Marine Le Pen arrive au second tour, la majorité des français rallieront un front républicain, comme en 2001, assurant ainsi la victoire de l’autre candidat. L’enjeu du premier tour serait alors d’éliminer tout ce qui n’est pas Front National
Quelle qu’en soit la raison, et pour autant que les comportements des communautés politiques sur Twitter reflètent une stratégie globale, cette anomalie du capital de focus est globalement favorable au Front National. Car à exercer la majeure partie de son hostilité envers les idées et personnalités de leurs principaux concurrents à l’exception de Marine Le Pen, les candidats polarisent de manière asymétrique leur électorat. Ils rendent ainsi de plus en plus inconcevable dans l’esprit de leur électorat un ralliement à l’un des candidats concurrents au second tour en cas d’échec de leur candidature au premier tour.
Si Marine Le Pen se qualifie pour le second tour, cette configuration renforce donc à la fois le score probable de l’abstention et l’ampleur du report de voix sur sa candidature. L’efficacité du front républicain risque fort de s’en trouver passablement érodée par rapport à 2002.