Présidentielle 2022 – Farewell
David Chavalarias, Victor Chomel et Maziyar Panahi (CNRS, Institut des Systèmes Complexes de Paris Île-de-France)
22 avril 2022
Voir aussi notre tribune de ce jour dans Libération L’extrême droite arrivera-t-elle à supprimer le vote Macron?
Tweetosphère politique de l’entre-deux tours
La carte ci-dessus montre le paysage politique tels qu’il s’est reconfiguré après le 1er tour (période 11 avril – 20 avril). Chaque point est un compte Twitter, colorisé et positionné suivant sont orientation politique (voir https://politoscope.org/2017/04/la-tweetosphere-politique/ pour la méthode) Commençons par remarquer que la « tripolarisation » du paysage politique qui s’était amorcée dès l’entre-deux tours de 2017 semble être arrivée à un point d’orgue. Le PS et LR sont en miettes et trois grands pôles se dessinent autour d’Emmanuel Macron, Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon.
La stratégie de suppression d’électeurs est arrivée près de chez vous !
La suppression d’électeurs est l’une des stratégies de manipulation favorites de l’alt-right américaine ; elle a été exploitée massivement en faveur de Trump, lors des présidentielles américaines de 2016 et 2020, via des mèmes et messages dénigrant ses adversaires. Son but : susciter une abstention massive de la part de certaines populations d’électeurs, ou un vote barrage à l’encontre d’un candidat, en rendant le vote pour ce candidat émotionnellement désagréable voire insupportable.
Cette stratégie a été importée en France au moins depuis 2017. Nous avions pu à l’époque observer une action coordonnée entre l’extrême-droite française et l’alt-right américaine pour cibler les électeurs de Fillon et de Mélenchon dans l’entre-deux tours avec des messages hostiles à Emmanuel Macron. L’hostilité et le dénigrement est en effet la signature de ces campagnes, trop courtes pour faire remonter dans l’opinion public l’image d’un favori, mais suffisamment longues pour arriver à dégrader celle de son opposant. Cela tombe bien, la structure du mode de scrutin pour la présidentielle fait que la plupart des français sont condamnés à donner leur voix à une personne qu’ils n’ont pas choisie. Pour la majorité, il s’agit donc de voter pour le moins pire ou de s’abstenir. Inciter à l’abstention de manière ciblée ou changer la perception des électeurs de ce qui est « le pire » s’avère donc une stratégie payante.
Tous les partis utilisent ce type de stratégie, particulièrement adaptée à l’ère des réseaux sociaux puisqu’ils permettent de toucher des millions d’électeurs en quelques heures. Dans cet entre-deux tours par exemple, les partisans d’Emmanuel Macron martèlent le soutien stratégique de Vladimir Poutine à Marine Le Pen et l’admiration de cette dernière pour le chef du Kremlin, prophétisant une catastrophe géopolitique et économique en cas de victoire du Rassemblement national. L’extrême-droit réplique à coup de photos montrant les multiples rencontres entre le Président Macron et des chef d’État totalitaires, dont bien entendu Vladimir Poutine.
De multiples stratégies sont mise en œuvre en même temps, mais pour ce qui est de la suppression d’électeurs, le paysage politique est beaucoup plus favorable à l’extrême droite qu’il y a cinq ans. Comme nous l’avons documenté au fils des mois sur le site du Politoscope, l’extrême-droite a muté, réalisant une division du travail qui peut s’avérer redoutable (voir Chavalarias D., Toxic Data). Un couple Marine Le Pen / Éric Zemmour qui joue au bon flic / mauvais flic, issu de la dédiabolisation de la première et de l’irruption du second sur la scène politique. Un obsessionnel du dénigrement et de la complainte anti-système auquel la pandémie a donné une emprise certaine sur quelques centaines de milliers d’électeurs : Florian Philippot. À la course du moins pire, Marine Le Pen a déjà fait sa part du travail en se dédiabolisant pendant de longs mois à coup de photos de chats et de sourires face caméra et en déléguant un travail de sape du bilan d’Emmanuel Macron à ses acolytes. L’heure est maintenant venue pour l’ensemble des militants d’extrême-droite de s’occuper de l’image d’Emmanuel Macron. Ceux-ci apparaissent dans toutes nos analyses comme ceux qui sont le plus organisés et qui maîtrisent le mieux ce type de campagne numérique. Pour ainsi dire, ils jouent à domicile.
Les analyses ci-dessous complètent et étendent celles présentées dans notre tribune de Libération. Elles portent sur la période 11 avril – 20 avril 2020et sont évidemment préliminaires. Elle donnent néanmoins des tendances et illustrent les différents angles d’attaques adoptés.
Nous pouvons regarder dans ce paysage la diffusion des messages visant la suppression d’électeurs et ceux marquants le succès de cette stratégie auprès des militants politiques. Ceux visant à supprimer le vote Macron sont accompagnés de hashtags tels que #toutsaufmacron ou #sanlui, ceux qui cherchent à supprimer le vote Le Pen s’agrémentent de quelques #stoplepen ou #LePenJamais ; enfin ceux qui signalent les intentions d’abstention mentionnent des termes tels que #nimacronnilepen ou #abstentionle24. Nous avons colorisé ces messages sur la carte ci-contre et nous pouvons constater que l’action de suppression de vote Macron est largement dominante (les militants sont cinq fois plus nombreux du côté du Front national) et que la communauté qui réagit le plus à cette suppression est LFI, grâce notamment à une « passerelle informationnelle» entre LFI et l’extrême-droite, documentée dans Toxic Data, et qui s’est formée au moment de la pandémie autour du mouvement anti-vax de Florian Philippot. Ce dernier a rapidement transformé son mouvement, qui se présentait comme purement sanitaire, en machine de guerre contre la réélection de Macron.
Ces stratégies sont par ailleurs dans une dynamique ascendante lorsque l’on compare la carte publiée dans Libération ce jour et celle livrée sur cette page.
Outre leur supériorité numérique, les militants d’extrême-droite bénéficient cette année d’un avantage qui pourraient faire la différence avec 2017 : cinq ans d’archives. Ainsi, rien de vaut l’émotion pour amener le doute dans le cœur des électeurs. Depuis quelques jours, par exemple la circulation de montages photos faisant le rapprochement entre Emmanuel Macron et des images intenables de la séquence Gilets jaunes (manifestants défigurés, violences policières, etc.) rendront à certain le vote barrage émotionnellement insupportable. Nous en retraçons ici quelques diffusions. Comme on peut le constater, beaucoup de même sont fabriqués à l’extrême droite (tweet originaux) puis relayé jusqu’à l’extrême gauche et la communautés LFI, voire même parfois jusqu’à LREM. Leur influence sur l’abstention reste à mesurer, mais nous observons néanmoins une certaine corrélation entre l’exposition à ce type de campagne des militants de gauche et les déclarations d’abstention (à vérifier de manière plus rigoureuse ultérieurement).
L’effet futur de ces campagnes de suppression d’électeurs reste largement inconnu. Tout dépendra de la remobilisation des activistes de Zemmour, qui sont sortis sonnés du 1er tour, de la contribution éventuelle d’un alt-right internationalisée et des campagnes médiatiques des ces prochaines heures. Il faut cependant se dire une chose : cette stratégie perd largement de son efficacité lorsqu’elle est révélée aux électeurs visés. Faites passer le message !