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De quelle manière Twitter parle des affaires d’emploi fictif ?

Ce que vous allez apprendre dans cette analyse : Contrairement aux organes de presse respectant la présomption d’innocence, les utilisateurs de Twitter ne prennent pas de gants pour parler des affaires d’emplois fictifs.

Le LaTTiCe est un laboratoire de linguistique sous la triple tutelle du CNRS, de l’Ecole Normale Supérieure et de l’Université Paris 3 Sorbonne nouvelle. Nos recherches portent sur la linguistique et le traitement automatique des langues. Le laboratoire fait partie du labex (laboratoire d’excellence) Transfers (IDEX PSL*) et du labex EFL (Empirical Fundations of Linguistics, COMUE Sorbonne Paris Cité).
Dans cet article, les équipes du LaTTiCe publient les résultats de leur analyse de l’usage comparé de l’expression “emplois fictifs” sur Twitter et dans
la presse, effectuée à partir des données du Politoscope.

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Le 25 janvier 2017, le Canard Enchaîné publie un article affirmant que Penelope Fillon, l’épouse du candidat LR François Fillon, aurait touché de l’argent public au travers d’emplois fictifs d’attachée parlementaire. Ces révélations ont fait grand bruit dans les médias, et ont fortement mis à mal la campagne du candidat.

Au cours des mois suivants, d’autres affaires similaires ont été découvertes. D’abord au FN, qui aurait aussi employé illégalement une douzaine d’assistants parlementaires sur le budget du parlement européen. Enfin au sein même du gouvernement, le ministre de l’Intérieur Bruno Le Roux a dû démissionner après que le magazine télévisé Quotidien a révélé que le Ministre avait embauché ses filles à de multiples reprises lorsqu’il était député, pour des tâches dont la réalité a aussi été mise en doute.

Ainsi, différentes affaires d’emplois fictifs ont marqué les quatre derniers mois de la campagne présidentielle, autant dans les médias que dans les conversations politiques. Nous avons donc voulu observer quel traitement réservent les utilisateurs de Twitter aux personnalités politiques inculpées dans ces affaires, en les comparant à celui de différents types de presse.

Constitution du corpus de travail

Pour commencer cette étude, il faut construire un corpus de travail divisé en deux sous-corpus, composés d’articles de presse d’une part et de tweets d’autres part. Nous avons choisi de différencier trois types d’organes de presse : la presse papier traditionnelle, la presse web de type “pure player”, et les sites web d’information alternative. Dans tous les cas, nous avons récupéré les articles mentionnant les mots “emploi” et “fictif” ou “emplois” et “fictifs” entre janvier et avril 2017.

Pour constituer le corpus de tweets, nous nous sommes servis de l’API Multivac proposée par l’ISC-PIF. Grâce à elle, nous avons extrait 10 000 tweets mentionnant les mots “emplois” et “fictifs” ou “emploi” et “fictif” entre janvier et avril 2017, représentant 92 320 mots. Ils proviennent soit de comptes de personnalités politiques, soit de personnes mentionnant ces dernières avec leur pseudo Twitter.

Exploration du corpus

Pour observer les données obtenues de plus près, nous nous sommes servis de TXM, un logiciel de textométrie créé par l’ENS de Lyon. Il permet d’effectuer des calculs statistiques pour mettre en évidence différentes caractéristiques d’un texte.

Nous nous sommes surtout servi ici du calcul de cooccurrences. Il définit tous les contextes autour d’un mot donné, puis détermine un score de cooccurrence à chacun d’eux. Plus le contexte est sur-représenté, plus le score est élevé. Dans notre étude, ce calcul nous permet d’observer très rapidement quels sont les mots qui accompagnent le plus souvent les expressions “emploi fictif” ou “emplois fictifs”.

Formes utilisées par la presse

Les procédures judiciaires étant en cours, on peut s’attendre à ce que tous les médias prennent leurs précautions lorsqu’ils parlent de ces affaires pour respecter la présomption d’innocence.

C’est ce que l’on constate dans notre corpus, où quasi systématiquement, l’expression “emploi fictif” est accompagné d’un marqueur de doute, comme dans les formes “emplois présumés fictifs” ou “soupçons d’emplois fictifs”.

En comparant les différents types de presse, on observe les mêmes formes prudentes dans chaque sous-corpus. Cela est dû au style journalistique très codifié, qui doit respecter la présomption d’innocence. Cependant, les sites d’information alternative se permettent de s’en affranchir, avec des formes plus agressives, qu’on trouve dans des textes tenant plus du billet d’humeur que de l’article d’actualité.

Formes des utilisateurs de Twitter

Maintenant que ces formes ont été relevées dans le corpus de presse, nous allons explorer celui de Twitter pour voir si ces formes prudentes sont reprises, ou s’ils proposent d’autres expressions.

Contrairement à la presse, les utilisateurs de Twitter se servent peu des marqueurs de doute.

Dans notre corpus, on peut observer deux types de tweets avec les formes prudentes que l’on a retrouvées dans la presse :

On a d’abord les tweets comme ceux-ci, d’utilisateurs lambda ou de journalistes, qui partagent des articles de presse en en reprenant simplement le titre dans le tweet.

Ensuite, dans la plupart des autres tweets avec des marqueurs de doute, on retrouve cette opposition entre François Fillon, soupçonné d’avoir eu recours à des emplois fictifs, à Alain Juppé, qui a été condamné dans l’affaire des emplois fictifs de la mairie de Paris en 2004. Ces tweets font écho à l’appel de sympathisants LR à remplacer la candidature de Fillon par celle de Juppé après les révélations du Canard Enchaîné pour éviter que l’affaire n’entache la campagne du parti. Ces tweets peuvent avoir deux interprétations en fonction des opinions de leur auteur, ils expriment soit le rejet de Juppé pour les partisans de Fillon, soit la moquerie de la part des détracteurs des Républicains.

Dans le reste des tweets, on trouve des formes extrêmement variées, au point qu’il est difficile de dégager des expressions récurrentes. Le style bref de Twitter dû à la limitation de 140 caractères peut avoir une influence sur ce phénomène, puisque le plus souvent “emploi fictif” est utilisé sans contexte spécifique.

Conclusions

Comme on a pu le voir dans cette étude des formes prudentes dans la presse et sur Twitter, la conversation autour des affaires d’emplois fictifs est bien moins indulgente sur le réseau social que dans la presse. Alors que le parquet ne s’est pas encore prononcé définitivement sur la culpabilité des personnalités politiques concernées, les “twittos” n’hésitent pas à les interpeller et à les accuser, ayant déjà rendu leur jugement.