Avis de tempête sur notre démocratie

Le Front National bénéficie déjà du “vote” des étrangers

Ce que vous allez apprendre dans cette analyse : Nous quantifions les campagnes de manipulation de l’opinion opérées à la fois de l’intérieur et de l’extérieur de l’espace public virtuel français. Celles-ci sont actuellement en cours pour le deuxième tour des présidentielles et vont s’amplifier jusqu’au 7 mai.

Publié le 5 mai 2017.

Relais médias

Cette étude a été présentée au 20h de TF1, le soir du début de la période de réserve, le 5, Mai 20217. Les #MacronLeaks se déclenchaient quant à elles à 19h59.

« On ne peut avoir raison contre la foule » (voir les travaux de J-P. Dupuy, A. Orléan). Cette maxime populaire est plus que jamais d’actualité en politique où nombre de candidats se prévalent d’une volonté du peuple pour défendre leur idées et où certains mouvements, comme la France Insoumise, décident collectivement des consignes de vote pour le second tour.

L’expérience de Asch (1951) démontre un phénomène encore plus puissant : « on ne peut se convaincre d’avoir raison contre la foule quand bien même la foule aurait tort ». L’expérience consistait à présenter trois barres verticales à un groupe de personnes dont toutes sauf une étaient complices de l’expérimentateur. Lorsque l’on demandait au groupe quelle barre avait la même taille qu’une barre témoin, si les complices, à dessein, désignaient unanimement une mauvaise barre, alors la personne restante, sujet de l’expérience, désignait la même chose dans près d’un tiers des cas. Cela malgré la fausseté patente de la réponse.

Cette expérience met en évidence un processus cognitif qui est un cas particulier d’un ensemble de phénomènes interférant avec nos décisions quotidiennes – pour le meilleur et pour le pire – : les processus d’influence sociale. Nous sommes des êtres sociaux, nous n’y pouvons rien. C’est probablement en vertu de cela que nous avons réussi à développer des sociétés aussi complexes et perfectionnées que les sociétés humaines.

Mais voilà, nous évoluons depuis peu dans des univers virtuels où, de par la possibilité de démultiplication des personnes (une personne, plusieurs comptes utilisateurs ou avatars) et de par l’absence de contraintes géographiques (tout le monde peut parler à tout le monde), la « foule » n’est plus ce qu’elle était (décidément, tout se perd).

Que savez-vous des auteurs des messages que vous lisez sur une plate-forme comme Twitter ? La plupart du temps, rien. Ils continuent cependant, lorsqu’ils interagissent avec vous en nombre et de manière répétée, à vous influencer dans vos choix, souvent sans que vous en ayez conscience. Car les biais cognitif de l’espèce humaine eux, n’ont pas changés.

Cette situation est une opportunité extraordinaire à qui souhaite influencer l’opinion, par exemple dans un contexte d’élection présidentielle.

Campagne d’astroturfing en provenance du nouveau monde

Prenons l’exemple de la plateforme Twitter : un groupe qui souhaiterait influencer l’opinion en faveur de l’élection de Marine Le Pen pourrait très bien adopter une stratégie d’encerclement différentiée et bombarder de messages ad hoc les deux principales communautés susceptibles de changer la donne : les Insoumis et Les Républicains. L’objectif : qu’ils s’abstiennent ou votent Le Pen. La multitude de messages allant dans le même sens finira bien par convaincre quelques pourcents. Et on sait bien que les victoires de nos jours se jouent à peu (1 % pour Trump).

Pour ce faire, c’est assez facile. Il faut être plusieurs, organisés et avoir un minimum de culture politique pour savoir ce qui rebute, déplaît ou fait peur à chaque communauté. On conseillera d’aborder la communauté Les Républicains sur le thème de l’immigration et du terrorisme ; celle des Insoumis sous l’angle de la finance, du rejet des élites et de l’Europe néolibérale. Et le reste de la population avec un bon cocktail de tout cela sur fond de clash des civilisations.

Ces communautés seront d’autant plus faciles à cibler qu’elles se rallient sur Twitter autour de mots-clés bien identifiés, les fameux #hashtag : #laforcedupeuple, #melenchon, #sansmoile7mai, #franceinsoumise, #jevotefillon, #fillon etc. Dans tous les cas, des petites phrases sorties de leur contexte et des images choc correctement retouchées arriveront à créer ou renforcer une opinion négative sur le challenger de Marine Le Pen en le dénigrant, le ridiculisant ou le diabolisant. On donnera surtout comme conseil de produire des messages ‘corporate’, qui ont l’air de venir des communautés elles-mêmes et seront facilement partagés. Une action massive dans les trois ou quatre jours précédant l’élection fera l’affaire. Alors, top départ ?

Certains diront que c’est de la foutaise ou qu’ils sont assez forts mentalement pour ne pas être influencés par la foule. D’autre diront que c’est la règle du jeu démocratique que chaque camp essaie d’influencer les autres.

Mais si cela était vrai ? Si nous étions influençables pour la plupart d’entre-nous, si des groupes qui n’ont rien avoir avec notre démocratie étaient partie prenante de nos élections et s’ils avaient déjà réussi à nous encercler cognitivement ?

Le premier point est un fait psychologique bien connu et largement utilisé par les publicitaires.

Le deuxième peut-être constaté sur Internet puisque ces groupes, pour maximiser leur influence, s’organisent au sein de forums largement ouverts. Le plus important semble être le mouvement de présentant comme l’extrême droite anglo-saxonne (« Alt-right ») qui, dans le sillage du Brexit et de l’élection de Trump rêve de faire triompher l’extrême droite, les suprémacistes blancs et le protectionnisme partout où la misère et la colère des peuples pourra le faire germer. Organisant des sessions de trolling où ils échangent points de vue et méthodologie, ils ont une feuille de route très claire : faire gagner leur « Golden Queen » (Marine Le Pen) par tous les moyens offerts par les réseaux sociaux. Les conseils évoqués précédemment proviennent d’ailleurs d’un tutoriel vidéo émis par ce groupe, dont nous recommandons le visionnage.

Enfin, le troisième point semble être déjà bien engagé d’après nos observations sur le Politoscope.

Déjouer les campagnes d’astroturfing avec le politoscope

Le Politoscope (http://politoscope.org) est un dispositif développé par le CNRS qui a permis d’analyser les échanges de plus de 85 millions de tweets entre plus de 3 millions d’utilisateurs uniques sur Twitter depuis août 2016. A l’instar des partis politiques, qui utilisent les masses de données issues des réseaux sociaux pour analyser les opinions de leurs concitoyens, le Politoscope met les outils de la recherche à la disposition des citoyens pour analyser les prises de parole des candidats à la présidentielle et de leurs communautés.

Qu’observons nous en lien avec de potentielles actions coordonnées d’influence sociale (astroturfing) de la part de ces groupes ?

Que les primaires de la droite et le premier tour de la présidentielle ont déjà fait l’objet d’actions coordonnées. Elles ont été organisées dans les quelques jours précédents l’élection et pendant les principaux débats. Pour éliminer Juppé d’une part, pour tenter d’éliminer Macron d’autre part.

Nous avions d’ailleurs déjà relevé avant le premier tour l’hostilité extrême et structurelle dirigée contre la candidature d’Emmanuel Macron de la part des communautés concurrentes.

Plus important, nous avons des indices indirects mais relativement concordants d’interférences importantes, par des groupes extérieurs à la France, sur la circulation de contenus politiques sur Twitter.

Pour estimer la proportion de messages politiques non-français de type astroturfing, nous avons analysé les fuseaux horaires des comptes associés aux tweets politiques collectés par le Politoscope. L’indication de fuseau horaire fait partie des méta-données des comptes Twitter et est associée à chaque tweet. Elle est attribuée par Twitter à la création du compte. Elle peut-être modifiée et ne respecte par systématiquement le fuseau horaire de la personne créatrice du compte. Néanmoins, on peut s’attendre à ce que la distribution des fuseaux horaires des comptes issu d’un pays donné lui soit spécifique.

L’analyse de la twittosphère politique sur 9 mois (1,9M de comptes, 57,5M tweets) a en moyenne, ces 9 derniers mois, 43,5 % de fuseaux horaire ‘Paris’ et 25,3 % de fuseaux horaires ‘anglo-saxons’. La communauté Emmanuel Macron est dans cette moyenne : 44,7 % (11M de tweets) vs. 25,4 % (6,6M de tweets) respectivement pour les fuseaux ‘Paris’ et ‘USA’. En revanche, la communauté autour de Marine Le Pen est largement biaisée vers le fuseau USA : 35,5% (11,5M) vs. 33,9 % (33,9M) ce qui indique qu’une partie significative des tweets relayés par cette communauté émanent en fait de compte étrangers.

L’analyse de campagnes particulières est très instructive sur la nature de leur initiateurs. Sous le hashtag #MFGA (Make France Great Again en référence au slogan de Trump Make America Great Again) une campagne assez virulente a été menée contre Emmanuel Macron (jusqu’à 6000 tweets par jours, 61.000 tweets et retweets depuis le 1/07/16).

Comme le montrent les graphiques ci-dessous, cette campagne a été très vive trois jours avant le 1er tour de la présidentielle. Elle n’a été reprise que de manière modérée par le cœur de la twittosphère politique française (principalement la communauté Le Pen). Les tweets de cette campagne étaient principalement en anglais, mais accompagnés d’images bien souvent en français.

Comme on peut le constater, les données de fuseaux horaires indiquent clairement la présence massive de tweets émis par des comptes d’anglo-saxons (principalement USA, tous les fuseaux horaires anglo-saxons ont été fusionnés) : 16,7 % de fuseaux horaire ‘Paris’ vs. 72,3 % de fuseaux horaire USA. Si les tweets d’origine ont pu être émis majoritairement par des comptes étrangers, 55.000 tweets de cette campagne étaient des retweets et ont pu être émis par des comptes français.

L’extrême droit américaine  annonçait sur un forum le 25 avril dernier  vouloir faire un “push final” sur les réseaux sociaux contre la France en faisant de la propagande anti-Macron. Pour identifier les tweets issus de cette campagne, nous avons relevé les #hashtag les plus utilisés par les communautés Mélenchon, Fillon et Marine Le Pen contre Macron :

#dangermacron, #sortonsmacron, #jamaismacron, #toutsaufmacron, #stopmacron, #levraimacron, #enmarchearriere, #emmanuelhollande, #demasquonsmacron, #macronpiegeacons, #macrongate, #imposturemacron, #macrondegage

Cela nous a permis de constituer sur la période allant du 1er février au 6 mai, un corpus de plus de 400.000 tweets qui s’attaquent sans ambiguité à Emmanuel Macron.

Encore une fois, ces campagnes sont très virulentes et toujours en cours au 6 mai 2017. Un premier pic a été enregistré de près de 28.000 tweets le 25 avril, c’est-à-dire deux jours après la sélection de Macron pour le second tour. C’est près de 5% de tous les tweets publiés ce jour là, soit 1 tweet sur 20. Un second pic a été enregistré hier (5 mai) avec 23.000 tweets. Nous nous attendons à ce que le pic le plus haut soit sur le 6 mai ou le 7 mai.

On pourrais croire que cette campagne est une réaction d’une partie des français entrant en campagne de deuxième tour pour Le Pen ou contre Macron.

La réalité semble toute autre.

L’analyse des fuseaux horaire de cet ensemble de tweets révèle un biais vers les fuseaux USA et donc pointe vers l’intervention d’acteurs étrangers à la politique française : des activistes étrangers, des armées de robots ou les deux.

Notre tweetosphère politique est constituée de deux grands ensembles : un cœur de quelques dizaines de milliers de comptes qui correspond aux comptes les plus engagés politiquement, et donc les moins susceptibles de changer d’avis ou d’être indécis.

En distinguant les comptes appartenant au cœur de la twittosphère politique (les équipes de campagne et militant, ~50.000 comptes) des comptes plus périphériques et probablement plus représentatifs de la population moyenne de tweeter (~1,8M de comptes appelés « la mer »), nous pouvons constater que cette campagne d’influence a pénétré plus largement la mer (68 % de fuseaux USA) que le cœur (32 % de fuseaux USA).

En analysant le détail de la diffusion de cette campagne au sein du cœur, nous pouvons constater qu’elle a été relayée massivement par les communautés Le Pen, Fillon et dans une moindre mesure Mélenchon (cf. figures).

Distribution des fuseaux horaires pour la twittosphère politique française. Moyenne sur 9 mois et 57M de Tweets.

Distribution des fuseaux horaires pour l’ensemble des tweets de la mer. Moyenne depuis le 15 avril 2017.

Distribution des fuseaux horaires pour les tweets issus de la mer (comptes en dehors du coeur de la twittosphère politique)  mentionnant un hashtag anti-Macron. Moyenne depuis le 15 avril 2017.

Distribution des fuseaux horaires pour les communautés de la twittosphère politique mentionnant un hashtag anti-Macron. Moyenne depuis le 15 avril 2017.

Conclusions

Nous avons pu quantifier assez précisément des stratégies de manipulation de l’opinion publique qui sont opérées à la fois de l’intérieur et de l’extérieur de l’espace public virtuel français.

Ces stratégies se concrétisent à travers des campagnes de (dé)information qui s’amplifient considérablement dans les trois à quatre jours avant un scrutin, au moment où les sondages et les campagnes s’arrêtent. Le but est clairement de faire basculer l’opinion publique à un moment où elle est la moins informée et la plus vulnérable. Le contenu des messages témoigne d’une stratégie qui joue sur les émotions, la peur et le mensonge plutôt que sur des propos argumentés.

Nous avons pu observer que les acteurs étrangers de ces campagnes ont adapté leur stratégie au fil du temps. Après une campagne en anglais (MFGA) qui a eu relativement peu d’échos dans le cœur de la twittosphère, ils ont récupéré les hashtags des différents communautés politiques françaises ainsi que leurs codes. On peut raisonnablement penser que cela leur a permis d’amplifier dans le sens souhaité l’évolution de l’opinion de certaines communautés. En particulier, le pic de la campagne #stopmacron observé deux jours après la victoire de Macron a pu influencer les délibérations des Insoumis qui devaient se prononcer sur des consignes de vote pour le second tour. Elles ont été, comme on a pu le voir, totalement différentes des consignes de 2002, et ont été la marque du délitement du front républicain.

A l’ère du numérique et des réseaux sociaux, ce type de manipulation est inévitable, mais un internaute averti en vaut deux.

Alors le 7 mai, demandez-vous quelle foule a bien pu vous piquer, et pour vous protéger, ne sortez pas sans votre esprit critique.

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